Sur LinkedIn, Pierre Amar compte quelque 10.600 abonnés. L’un de ces derniers posts a suscité près de 3.000 likes. « C’est pas mal », reconnaît-il modestement. Avec nos pauvres 500 relations, on trouve ses chiffres franchement très corrects. D’autant que Pierre Amar a une caractéristique bien distincte du commun des influenceurs LinkedIn : il n’est ni chasseur de têtes, ni directeur marketing, mais prêtre. Depuis vingt-et-un ans exactement au diocèse de Versailles, comme l’indique son profil. Comme lui, de nombreux hommes d’Eglise sont présents - de manière un peu surprenante - sur le réseau professionnel. La simple recherche du profil « prêtre » donne plus de 100 pages de résultats.
Une surprise, vraiment ? Croiser des hommes de foi sur les réseaux sociaux n’étonne pourtant plus grand monde. « On assiste à un fort développement de la présence religieuse sur les réseaux sociaux, notamment avec des phénomènes comme le Père Matthieu et son 1,2 million d’abonnés sur TikTok. Des religieux ont toujours été massivement connectés depuis le début des années 2000, notamment sur Twitter ou Facebook, mais la présence était plus confidentielle à l’époque », rappelle Stéphanie Laporte, consultante en marketing des médias sociaux et communication Web.
Une paroisse moderne
Reste qu’avec LinkedIn, on parle d’un bastion purement professionnel, où l’on est bien plus habitué aux partages de CV que de prières, et à parler à son « Cher réseau » plutôt qu’à « Mon père » ou à Dieu. Pierre Amar le reconnaît, sa présence étonne encore : « Une fois, on m’a dit que ce n’est pas normal qu’un prêtre expose des convictions religieuses sur un réseau purement professionnel. J’ai répondu que c’était justement mon boulot d’exposer des convictions religieuses ». Et quitte à les exposer, autant le faire au plus grand nombre. « Un de mes posts sur LinkedIn peut potentiellement être lu par mes 10.000 abonnés. A la messe, je prêche devant 600 personnes au maximum ».
Lorsqu’il ne délivre pas de lui-même la bonne parole, certains viennent la quérir via messages privés. Ça tombe bien, il est aussi là pour ça : « J’ai la conviction qu’aujourd’hui, les gens perdus ne poussent plus la porte du presbytère mais viennent plutôt glisser dans vos messages privés. Ils me parlent de philosophie, de morale, d’éthique, de religion… Internet, c’est une paroisse moderne, alors autant y être omniprésent ». Même constat chez Cédric de La Serre, prêtre au diocèse de Nanterre : « Je vois ça comme le hall d’une gare ou une place de village. Mon rôle est simplement d’être disponible si quelqu’un veut me contacter. » Mais la pêche est maigre : durant les 12 derniers mois, sept personnes sont rentrées en contact avec lui. Principalement pour des interrogations professionnelles. « C’est parfois en sous-texte, mais on reste sur LinkedIn : l’aspect travail ressort souvent ».
Le réseau social préféré de ton prêtre préféré
LinkedIn n’est en effet pas un réseau comme les autres. Père Grégoire Sabatié-Garat, lui aussi prêtre du diocèse de Versailles, a des comptes Instagram, Twitter, Facebook - « comme beaucoup de jeunes prêtres », précise-t-il –, et donc LinkedIn. Sur ce dernier, il vante « des contenus globalement plus intéressants ou "sérieux" que les autres réseaux. Il y a moins de dispersion quand on regarde le fil d’actualité ». Une présence qu’il justifie également par les nombreux articles économiques qui surgissent dans ses contenus. « Il est important d’avoir une idée de ce que vivent nos paroissiens impliqués en entreprise, et plus généralement de connaître les évolutions de notre société ». Reste que l’homme d’Eglise se restreint dans son utilisation numérique - une heure par mois, tout au plus.
Pierre Amar compte encore plus d’abonnés sur Twitter - 27.000 followers - et dispose aussi d’une belle armée de suiveurs sur Instagram - près de 5.500. Mais LinkedIn est de loin le réseau qu’il préfère : « C’est l’un des rares endroits sur Internet où les échanges sont quasi systématiquement cordiaux, longs et respectueux. Sur Twitter, tout est noir ou blanc et très vite vindicatif ». Il faut dire que sur LinkedIn, l’anonymat est rare et les discours assez courtois, puisque votre boss et vos collègues vous suivent probablement dessus. Même constat chez Stéphanie Laporte : « C’est un réseau plus sobre, qui leur convient donc mieux. Il y a moins de chance que leur message se retrouve au milieu de deux vidéos de chats et de minishorts. » Sans compter, selon l’experte, la hype des coachs de vie, coachs professionnels, coach en développement… « Qu’est-ce qu’un prêtre si ce n’est un coach théologique ? »
Chassez la présence physique, elle revient au galop
Cédric Burgun, prêtre du diocèse de Metz, liste lui des raisons plus proches du commun des mortels : il est vice-doyen de la Faculté de droit canonique de l’Institut Catholique de Paris. Rien de très original du coup dans sa présence : promouvoir l’Institut, son réseau et échanger professionnellement avec d’autres professeurs de droits. « Notamment de droit étatique, pour faire le lien entre le droit de l’Etat et le droit canonique ». Reste quelques incongruités, comme quand LinkedIn lui demande s’il recherche un emploi ou s’il veut recruter. « Je réponds non », sourit-il.
Comme tous ses confrères sur la Toile, Cédric Burgun est parfois interpellé par des messages demandant son aide ou, a minima, son écoute. « S’ils sont en Ile-de-France, je les invite à venir me voir directement. Sinon, je les oriente vers le prêtre ou le curé le plus proche ». Même stratégie chez Pierre Amar : « LinkedIn peut être une porte d’entrée, mais rien ne remplace l’échange direct ». Pour les prêtres, LinkedIn est finalement comme pour le travailleur moyen : un bon réseau, mais pas un faiseur de miracles.
Author: Michael Mendoza
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